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Béatrice Carton, médecin exerçant en prison : « soignants, nous sommes dans un milieu qui ne l’est pas »


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Mercredi 30 Novembre 2022 à 10:19 | Lu 1762 fois


Primée par le collectif Femmes de Santé en mai 2022, le Docteur Béatrice Carton, diplômée de médecine générale, est présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP). Un cadre spécifique qui, malgré le manque de moyens, favorise les notions de social et de promotion de soin. Rencontre.



Médecin généraliste au Centre Hospitalier de Versailles, Béatrice Carton n’exerce pas dans les locaux mêmes de l’établissement. Tous les matins, elle prend la route de l’une des deux prisons où elle occupe le poste de cheffe de service. Au quotidien, le médecin suit ainsi les 900 détenus de la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy, et les 70 détenues de la maison d’arrêt des femmes (MAF) de Versailles. « Je suis entrée pour la première fois en prison en 2001 », se rappelle l’intéressée. Diplômée depuis peu, la jeune femme découvre alors le milieu carcéral et ses spécificités.
 

Présidente de APSEP depuis 2019

« N’étant pas passée par cet exercice lors de mes études, j’en ai progressivement appris les codes », confie cette passionnée, qui s’implique dans les prisons depuis vingt-et-un ans. Et ce chiffre devrait bien continuer d’augmenter puisque Béatrice Carton ne compte pas abandonner un exercice « intéressant » qui, outre l’aspect purement médical, « comporte également un volet de promotion de la santé et un volet social, le tout dans le cadre d’un travail d’équipe », insiste celle qui occupe aujourd’hui la présidence de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP).

Médecins généralistes, infirmiers, gynécologues, dentistes, psychologues, aides-soignants, manipulateurs radio… Comme Béatrice Carton, ils sont plus d’une centaine de médecins et de paramédicaux en France à exercer dans l’un des 187 établissements pénitenciers que compte le pays. Chacun est équipé d’une unité médicale, complétée dans 26 structures par un secteur psychiatrique. Née en 1997, l’APSEP « rassemble les professionnels », insiste la présidente, en place depuis 2019. « Exerçant loin de notre hôpital de rattachement, nous avons besoin de rompre l’isolement. De nous retrouver, mais aussi d’être plus visibles vis-à-vis des tutelles », ajoute le médecin.
 

Ramener les détenus vers le soin

Car l’exercice en milieu carcéral est particulier : « soignants, nous sommes dans un milieu qui ne l’est pas », résume Béatrice Carton, insistant ici sur la prise en charge d’une population parfois isolée du soin. « Cet aspect de promotion du soin est un volet important de nos actions et entre en parfaite complémentarité avec l’exercice simple de la médecine », ajoute la professionnelle de santé. Lors de chaque arrivée en milieu carcéral, une consultation médicale est ainsi organisée pour faire un premier bilan, mais aussi pour préciser que le service dépend de l’hôpital et non de la prison. « Avant 1994, nous dépendions du ministère de la Justice, mais aujourd’hui cela n’est plus le cas », précise Béatrice Carton pour qui cette indépendance permet d’être mieux perçue par les patients.

Si le contexte est particulier, l’exercice médical est quant à lui normalisé. « S’ils nous racontent leur histoire, nous écoutons, mais nous ne demandons jamais pourquoi les détenus sont incarcérés », indique ainsi la présidente de l’APSEP, ajoutant qu’en ville ou à l’hôpital, « on ne demande pas un casier judiciaire avant de soigner un patient ». Ces messages, la professionnelle de santé les porte aussi auprès de ses collègues et notamment à l’hôpital où certains patients sont parfois transférés. « Nous sommes aussi là pour changer le regard sur le détenu : certes, le patient est menotté, mais c’est la même personne qui aurait pu se présenter quelques mois plus tôt ou qui se présentera quelques mois plus tard », précise le médecin, insistant sur la nécessité « de ne surtout pas juger ».
 

Un secteur qui souffre du manque d’attractivité…

En lien constant avec son hôpital de rattachement, la professionnelle de santé ne porte pas uniquement ce message. Au quotidien, elle maintient un lien « indispensable » entre les équipes médicales des établissements pénitenciers, la Commission Médicale d’Établissement et les différents services de soins. « Comme nous adressons certains de nos patients à l’hôpital, il est nécessaire qu’un lien fort persiste », détaille-t-elle. Et comme à l’hôpital, le milieu médical carcéral fait face à de nombreuses problématiques, en premier lieu liées au manque de personnel. « La prison n’est pas forcément le premier choix des soignants », ironise Béatrice Carton. Au sein de son équipe, par exemple, sur quinze infirmières, la professionnelle de santé constate ainsi un sous-effectif chronique « compris entre deux et cinq postes ». « Mais ce n’est pas la seule profession touchée, plusieurs établissements manquent aussi de médecins », précise-t-elle.
 

… et de la surpopulation carcérale

Si les chiffres sont déjà alarmants, la situation est « encore plus critique » aujourd’hui, les effectifs de soignants étant calculés en fonction du nombre de places et non du nombre de personnes présentes au sein d’un établissement carcéral. Le secteur, et plus particulièrement les maisons d’arrêt, fait pourtant face à une surpopulation chronique. À Bois-d’Arcy, 900 détenus sont ainsi présents sur un site dimensionné pour 500 places, soit un taux d’occupation de 180 %. « Ce taux est de 230 % à Bordeaux et de 200 % à Nîmes », indique la présidente de l’ASPEP qui constate « une augmentation plus rapide encore de la surpopulation carcérale sur les cinq dernières années ».

« Certes, la crise sanitaire a permis un relâchement, mais le nombre de détenus repart à la hausse depuis septembre 2021, pour atteindre aujourd’hui des taux similaires à ceux observés avant la crise », précise Béatrice Carton. Manquant de soignants, les professionnels de santé exerçant en prison doivent aussi faire face à des locaux parfois vieillissants et souvent mal adaptés aux soins. Manque d’ascenseurs, portes étroites… La Santé et la Justice ne réfléchissent pas les locaux de la même manière. Pour autant, Béatrice Carton ne fléchit pas. Primée par le collectif Femmes de Santé en mai 2022, à l’occasion de la dernière édition de SantExpo, elle profite de ce prix pour mettre en avant le milieu carcéral afin que personne n’en oublie « les soignés et les soignants ».

Article publié dans l'édition de septembre 2022 d'Hospitalia à lire ici.
 






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